Cigarette au cinéma : où en est-on? Rencontre avec un réalisateur
Les études ont depuis longtemps démontré que la présence de la cigarette à l’écran a un effet incitatif sur la population, et notamment sur les jeunes. Pourtant, elle est toujours bien présente au cinéma et sur le petit écran. Aux Oscar cette année, pas moins de 28 films sur les 39 en compétition mettaient en scène l’imaginaire du tabac. Dernièrement, on l’a vue être l’un des personnages principaux de la série télévisée produite par HBO, The Idol. Cinq minutes suffisent à voir le personnage interprété par Lily-Rose Depp fumer pas moins de trois cigarettes, et on ne parle même pas de la cigarette allumée dans un sauna! Comment expliquer sa popularité à l’écran et existe-t-il des alternatives? Discussion à pellicule ouverte avec Matthieu Clerdent, jeune réalisateur français expatrié à Montréal.
25 millions de jeunes exposés au tabac à l’écran en 2021
Bien que la publicité sur le tabac soit interdite dans de nombreux pays, l’industrie du tabac parvient quand même à s’infiltrer depuis plus d’un siècle sur le grand écran, véhiculant une image positive de la cigarette. Ce, résultant en une banalisation de la cigarette et en l’incitation à sa consommation.
Selon l’organisation américaine de santé publique de lutte contre le tabagisme et le vapotage Truth Initiative, en 2021, 47 % des films mettaient en scène un objet appartenant à l’imaginaire du tabac (incluant les cendriers et mégots).
De plus, les plateformes de visionnement en ligne, déjà populaires, ont explosé pendant la pandémie, renforçant la problématique auprès des jeunes. Toujours d’après l’association à but non lucratif, 60 % des émissions les plus populaires auprès des 15-25 ans contenaient des représentations du tabac. Cela représente 25 millions de jeunes exposés à l’image du tabac dans les émissions télévisées et sur les plateformes de visionnement en ligne les plus populaires.
Non seulement la présence de la cigarette à l’écran incite les jeunes à commencer à fumer, mais une forte exposition à celle-ci sur les plateformes de visionnement en ligne pourrait tripler les risques pour un jeune de commencer à vapoter, c’est ce que révélait Truth Initiative en 2021.
« Les méfaits de la cigarette jamais représentés »
Réalisateur depuis 2018, Matthieu Clerdent confie avoir remis en question l’image glamour des acteurs et actrices renforcée par la présence de la cigarette à l’écran. « Quand on remonte l’histoire du cinéma, historiquement, et notamment à Hollywood, la cigarette a toujours été très présente. On se souvient par exemple du charismatique James Bond avec sa vodka martini dans une main, une cigarette dans l’autre, sans même nous rendre compte que ses méfaits n’étaient jamais représentés à l’écran et que les personnages n’étaient jamais confrontés à la maladie. »
Il lui a fallu passer derrière la caméra pour réfléchir aux conséquences de la banalisation de la cigarette par le cinéma sur la population et notamment sur les jeunes. À la genèse de sa réflexion, la question de l’intérêt général. « J’ai été amené à me questionner sur la présence de la cigarette au cinéma pour l’un de mes projets parce que je me suis demandé si je voulais que mon travail alimente de la publicité gratuite pour un produit aussi nocif. J’ai toujours eu un intérêt pour les questions d’intérêt général : je travaille actuellement sur un documentaire sur les victimes des pesticides au Québec. Ça a donc été un cheminement assez naturel. Et par la suite, j’ai élargi ma réflexion à l’impact que le cinéma a en général dans son choix de mise en scène sur le public, et particulièrement sur les jeunes, en pleine construction identitaire. »
Montrer la cigarette à l’écran oui, mais avec conscience
Alors, quelles alternatives à la cigarette à l’écran? Le jeune vidéaste est lucide : défaire de l’imaginaire collectif un objet autant ancré dans la culture, c’est très difficile. « Je ne pense pas qu’il s’agisse d’interdire la cigarette au cinéma, car je crois qu’elle fait partie intégrante de certaines périodes de la société et de l’histoire de certains individus. Si je parle de mon cas en tant que réalisateur débutant, je crois qu’il faut être conscient de la responsabilité qu’on a à travers ce qu’on montre et ce qu’on raconte et que si la cigarette doit être visible, ce ne soit pas pour le glamour mais pour raconter la réalité d’une époque ou d’un personnage. »
« Intégrer des avertissements de santé avant le début des films, mettre des liens vers des ressources d'aide ou d'information en description si on parle d’un film ou d’un court métrage sur les médias sociaux ou encore coter les films avec une limite d’âge pourraient être des options pour protéger les jeunes » conclut-il.